A Westhoffen, au tableau, en français

Enseigner le français à Westhoffen au XVIIIe siècle : une mise en œuvre compliquée.

 

Qui parle français en Alsace vers 1760 ? L’administration, bien sûr, et les gens venus d’Outre-Vosges. La noblesse, car le français est alors la langue des cours dans toute l’Europe. Une partie de la bourgeoisie citadine… Et encore : le parle-t-elle en famille ?

L’avis du curé ou du pasteur, selon le cas, est prépondérant

La grande majorité de la population continue à s’entretenir dans le dialecte germanique en usage depuis une douzaine de siècles, avec les altérations dues au temps et aux lieux : francique dans l’Outre-Forêt et l’Alsace Bossue, alémanique dans le reste de l’Alsace, si on excepte quelques villages qui constituent la frange orientale de la langue d’oïl. Depuis que Louis XIV a, entre 1648 et 1697, rangé la région sous son sceptre, on essaie d’y implanter la langue du roi par de nombreux moyens, mais les résultats ne suivent pas. La plupart du temps, la classe se fait en allemand. Vers 1810 encore, le préfet Lezay-Marnésia se plaindra de n’avoir pas, dans tout le Bas-Rhin, 50 maîtres d’école sur 700 capables d’enseigner le français « avec fruit » !

Il faut dire que, sous l’Ancien Régime, on ne devient pas encore instituteur au sortir d’une École Normale ! Lorsque les communautés cherchent un maître, quiconque se sent de taille se présente. La rétribution fait l’objet d’un débat. Quand il y a plusieurs prétendants, le moins gourmand l’emporte souvent. Mais il risque de perdre sa place si on trouve moins cher, ou plus compétent pour le même prix. L’avis du curé ou du pasteur, selon le cas, est prépondérant, puisque l’instituteur, en plus de sa fonction pédagogique, assume aussi un rôle paroissial : catéchiste, chantre, sacristain, parfois même fossoyeur. Aujourd’hui, on a tendance à dire que « les Églises s’étaient arrogé le monopole de l’instruction » ; c’est oublier que, sans églises, pendant des siècles, il n’y aurait pas eu d’enseignement.

Registres paroissiaux en latin

Dans les années 1750, Westhoffen compte deux instituteurs, un luthérien et un catholique. En 1759 tombe l’ordre d’enseigner le français aux enfants. Joseph Gomenginger, le Catholique, ne semble pas rencontrer de difficulté particulière. Il a l’habitude de l’écriture française : c’est la même que celle des registres paroissiaux qu’on rédige en latin. Mais son collègue de la Confession d’Augsbourg ne pratique que la langue de Luther, écrite en gothique. Un certain Louis Schrumpf est alors engagé pour enseigner le français aux petits protestants. On lui verse à cet effet 50 livres.

Or il s’avère qu’il ne sait pas assez de français pour faire l’affaire. On se résout à envoyer les écoliers des deux confessions chez Gomenginger. Mais sa salle est déjà trop petite quand il n’a que les catholiques ! Et on serait bien inspiré de lui attribuer les 50 livres, puisqu’il assure le travail de Schrumpf. Il demande donc cette somme, ainsi qu’une salle plus grande. Débouté en février 1759, il revient à la charge et obtient, en juillet 1760, une salle plus grande… mais on ne lui paiera pas un radis de plus !

D’après Marie-Thérèse Fisher, paru le 4 mars 2015 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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