Ce patois qu’on dit « welsche »

Quelles théories bizarres n’a-t-on pas échafaudées à son sujet !

Les Grecs appelaient « Barbaroï » tous ceux qui ne parlaient pas grec. De même, dans les pays de langue germanique, l’adjectif « welsch » s’applique aux gens qui usent de parlers romans. Donc, pour les Alsaciens dialectophones, les patoisants de la vallée de la Bruche, du val de Villé, du val d’Orbey et de Lièpvre sont « d’Welsche ».

Il n’y a absolument pas lieu de chercher là une « langue welsche » aux origines extraordinaires. Or on a inventé tout et n’importe quoi : le patois serait apparenté au turc ou viendrait de Celtes fuyant dans les montagnes devant les invasions barbares !

Pas si tolérant qu’on le prétend, l’abbé !

Pour un spécialiste des langues en général et pour un romaniste en particulier, les origines du patois de nos vallées sont aussi simples et limpides que des ruisseaux de montagne.

Il est tout bonnement une des multiples variantes de ce qu’on appelle « la langue d’oïl », groupe de parlers romans (c’est-à-dire issus du latin) dont la vallée de la Loire constitue, en gros, la limite sud.

Au-delà commence l’aire de la « langue d’oc ». Le pouvoir royal a peu à peu privilégié, dans l’administration comme dans la littérature, un des parlers du nord, celui qui était la langue du roi et qui, avec le temps, est devenu le « français standard ».

Mais un romaniste n’a pas besoin d’être très chevronné pour distinguer où a été écrit un texte médiéval : au XIIe ou au XIIIe siècle, un Champenois n’écrivait pas comme un Normand ou un Picard.

L’un des objectifs des Jacobins révolutionnaires était de faire disparaître de France ce qu’on a appelé avec mépris « les patois », qui leur semblaient nuire à l’unité de la Nation.

L’un des grands apôtres de cette idée était le fameux abbé Grégoire, qui voulait aussi éradiquer le yiddish des juifs ashkénazes. Pas si tolérant qu’on le prétend, l’abbé !

De fait, un peu partout dans l’Hexagone, les patois n’ont cessé de régresser.

Et c’est dommage ! Car nos patois ont gardé des termes et des formes disparus du français standard. Une fille est une « bèyesse » à Plaine, une « bazelle » à Russ, et ces deux mots se retrouvent dans la littérature médiévale !

D’un village à l’autre, on repère des différences

Et beaucoup de termes qu’on croit spécifiquement bruchois se sont maintenus aussi dans les patois d’outre-Vosges, de Wallonie, de Suisse romande ou du Val d’Aoste, en Italie.

Bien sûr, d’un village à l’autre, on repère des différences, ce qui est aussi le cas pour le dialecte alsacien. C’est normal, là où on n’a pas établi de « standard ». D’ailleurs, dans le Ban de la Roche, des variantes d’articulation permettent de repérer les localités qui, après la Guerre de Trente Ans, ont été repeuplées par des gens du secteur de Montbéliard.

Vous demandez pourquoi il y a des patoisants en Alsace ? Parce qu’on a défini les contours de l’Alsace de telle sorte que des patoisants y ont été englobés ! Ils n’ont pas eu besoin de fuir les invasions pour cela : le domaine des patois romans s’étend jusqu’à l’Atlantique !

D’après Marie-Thérèse Fischer, publié le 22/05/2013 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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