Des délinquants bien pitoyables

(A 45 minutes de l’Ermitage du Rebberg)

Sans papiers, sans ressources, avec une raison chancelante, quelle vie pouvaient-ils espérer ?

Un après-midi d’août 1846, Charles Stoeckel, l’hôtelier de la Pomme d’Or à Wasselonne, fait appel au gendarme Georges Ostermann pour faire sortir de son établissement un individu qui y adresse des grossièretés à tout le monde. Des grossièretés et des insultes, Ostermann y a droit également lorsqu’il demande son passeport à l’énergumène.Le gendarme comprend qu’il a devant lui un aliéné. Il l’emmène au dépôt de sûreté de la ville et l’interroge. « Je me nomme Broth Jean-Jacques, âgé de 66 ans, natif de Dorlisheim, sans domicile fixe, vivant aux frais du bon Dieu », répond l’homme qui, en réalité, s’appelle Brecht. Ostermann apprend de lui que, il y a peu de temps, il était « renfermé dans la maison de Stephansfeld ». Réellement aliéné et, pourtant, lâché dans la nature et livré à lui-même… 

La femme a disparu… et la chemise aussi !

Nous voici maintenant au soir du 5 novembre 1857. Une femme, Françoise Ehrmann, se présente à l’auberge de la Licorne, toujours à Wasselonne. Elle demande à coucher, mais n’a pas d’argent. La femme de l’aubergiste Trumpf lui offre alors un repas et l’envoie dormir dans la chambre de la servante, Françoise Fritsch, où se trouvent non seulement deux lits, mais aussi un berceau vide. Sur celui-ci, la servante étale la chemise qu’elle a portée ce jour-là, une chemise de chanvre toute neuve, et en enfile une autre. Et tout le monde s’endort.

Le matin, Françoise Fritsch se lève la première et va vaquer à sa besogne. Une heure plus tard, lorsqu’elle revient dans sa chambre, la femme a disparu… et la chemise aussi ! Un vol, c’est sûr, et la coupable est évidente. La servante se lance à sa recherche, la trouve et lui réclame son bien. L’autre nie, refuse de se laisser fouiller et s’esquive.

Le 15 décembre, Françoise Fritsch aperçoit de nouveau sa voleuse à Wasselonne et porte plainte. Françoise Ehrmann est arrêtée. Elle avoue son larcin, mais ne peut rendre la chemise, qu’elle a vendue dès le lendemain à une femme de Saverne. Originaire de Steinbourg, elle se dit veuve d’un certain Jean Lauck. En réalité, il l’a abandonnée, comme on l’apprendra plus tard. Sans domicile fixe, elle a déjà été emprisonnée deux fois à Saverne pour mendicité et une fois à Strasbourg pour vagabondage, mais n’a jamais été arrêtée pour vol avant ce jour. Enfin, il s’avère qu’« elle est aliénée, elle a été renvoyée de Stephansfeld comme non dangereuse ».

Deux faits divers sans intérêt historique ? Pas sûr… Ils posent la question de la finalité d’un « asile d’aliénés » au XIXe siècle : de toute évidence, on cherchait moins à recueillir les personnes psychologiquement fragiles qu’à protéger la société contre les « fous dangereux ». À ceux qu’on n’y gardait pas, que restait-il, à part la misère, le mépris et souvent la prison ?

D’après Marie-Thérèse Fischer, publié le 24/07/2013 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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