Du porte-bonheur à l’emblème de l’horreur

L’usage qu’en ont fait les nazis a fait oublier le sens du svastika, en d’autres temps et d’autres lieux..

 

Le petit Satheeskumar vient de son Inde natale et commence à fréquenter l’école française. Avant la rentrée, il s’ingénie à fabriquer pour son livre de lecture un beau marque-page où il dessine un symbole qui lui est cher, celui qu’on voit sur les statues des divinités hindoues et surtout sur celle qu’il aime bien, Ganesh, le dieu à tête d’éléphant. Hélas, lorsque le maître, en classe, aperçoit le dessin, il n’a pas l’air content du tout. Voyant que l’enfant ne comprend rien à sa surprise, il lui explique que ce signe a été chez nous l’emblème d’un régime horrible qui a causé des millions de morts. Non, en Europe, la croix gammée n’a pas du tout le même sens que dans la culture hindoue.

« Elle représente le soleil ou une roue enflammée »

On devrait plutôt dire qu’elle ne l’a plus. Car on la rencontre souvent dans les objets archéologiques, même extrêmement anciens. Certains prétendent qu’elle représente le soleil ou une roue enflammée tournant sur soi-même. De fait, sur les peintures de vases attiques, on la voit tracée sur le disque des athlètes, le lancer de disque étant un sport en relation avec le culte solaire. Elle était censée contribuer à propulser ce disque le plus loin possible par sa vertu magique ! Mais elle apparaît déjà sur des objets remontant à un ou deux millénaires avant Jésus-Christ et pas seulement en Europe. Elle se rencontre chez les Indiens d’Amérique ou en Chine, par exemple.

Dans l’épopée hindoue du Mahabharata, elle est nommée « svastika », un mot qui la désigne comme bénéfique. Les Romains, eux, parlaient de « crux gammata » – d’où « croix gammée » –, parce que sa forme fait penser à quatre fois la lettre grecque « gamma ». Toutefois, elle n’est pas toujours composée de branches anguleuses et le « svastika courbe », fréquent dans l’art populaire, est souvent appelée « croix basque ». À vrai dire, s’il est très répandu du côté de Biarritz ou de Bayonne, il n’est pas spécifique de cette région.

En effet, les paysans alsaciens ne détestaient pas le svastika courbe pour le décor de leurs façades ou de leurs meubles. Il est encore visible, çà et là, pour le promeneur : sur une fontaine de Plaine, sur des maisons anciennes, comme à Bischoffsheim, à Geudertheim et ailleurs encore…

Guido von List

Malheureusement, vers la fin du XIXe siècle, un certain Guido von List a élaboré une théorie de la « germanité arienne », qui a nourri l’idéologie de groupuscules pangermanistes et antisémites. Comme le svastika avait été constaté sur des objets archéologiques « germaniques », ils se le sont arrogé comme emblème, sans vouloir prendre en compte son existence ailleurs. Hitler n’a pas eu besoin de l’inventer… Et le porte-bonheur millénaire est devenu pour nous, sous sa forme « anguleuse », un objet d’horreur.

D’après Marie-Thérèse Fischer,  publié le 11/09/2013 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace

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