Entre la révolte du Bundschuh et la Guerre des Paysans, Joss Fritz a entretenu la braise sous la cendre.
En 1493, s’était liée, au flanc de l’Ungersberg, une conjuration née de revendications à la fois sociales, religieuses et économiques. Son emblème : la chaussure à lacets des paysans, dite « Bundschuh ». Mais ces hommes n’étaient pas tous issus du monde rural, puisqu’ils avaient pour chef un ancien bourgmestre de Sélestat. Une trahison fit avorter leur projet au bout de quelques jours.
« Rien d’autre que la justice de Dieu »
Au printemps 1525 éclata la Guerre des Paysans. Des rassemblements d’insurgés se produisirent de façon quasi simultanée de part et d’autre du Rhin, si bien qu’on ne peut pas parler de hasard. Là non plus, les révoltés ne comptaient pas que des manants, des serfs ou des pauvres.
On les représente souvent, de nos jours, avec des faux et des fléaux, oubliant qu’ils ont très vite disposé d’armes à feu et même d’artillerie. On peut se demander comment les choses auraient évolué si le duc de Lorraine ne s’en était pas mêlé, jonchant de cadavres par milliers les environs de Scherwiller.
Et entre ces deux dates ? La flamme du Bundschuh, qui, en 1493, n’avait pas seulement jailli en Alsace, n’était pas éteinte. Un homme en particulier, Joss Fritz, s’est employé à l’entretenir. Fils de serfs badois, il s’est mis, à partir de 1501, à monter une nouvelle conjuration.
La bannière secrète montrait un paysan agenouillé devant un crucifix et, à côté, une grande chaussure à lacets. On y lisait une devise : « Rien d’autre que la justice de Dieu ». C’était un mouvement d’hommes à la fois pieux et anticléricaux, ce qui peut surprendre certains esprits de nos jours. Notons qu’il n’avait rien à voir avec la Réformation : en 1501, Luther venait juste d’entrer comme étudiant à l’université.
En un an, entre le Main et le Neckar, la conjuration a rassemblé 7 000 hommes et 400 femmes. Mais les propos d’un prêtre qui n’a pas respecté le secret de la confession mettent les seigneurs laïcs et ecclésiastiques en ébullition. Ils se réunissent à Sélestat et lancent la répression. Joss Fritz, lui, semble s’être évaporé.
Et le voici, en 1512, garde champêtre près de Fribourg. Patiemment, il reprend son action. De proche en proche, le mouvement secret gagne l’Alsace. Mais une trahison suscite une nouvelle répression. Joss lui échappe.
2 000 hommes doivent envahir Rosheim
Il refait surface en 1517. Le 12 juillet, il dresse des plans à Obernai avec un Fribourgeois et cinq hommes de Schnersheim : le 8 septembre, date de la foire annuelle de Saverne, où se rendront beaucoup de bourgeois du secteur, 2 000 hommes doivent envahir Rosheim et, dans la nuit du 9 au 10, on prendra Mittelbergheim.
Le reste n’est pas clair pour nous, parce que le traître (un de plus !) qui a livré la conjuration aux autorités a raconté des choses incohérentes. On ne sait ce que Joss est devenu ensuite.
Mais les Badois se souviennent de son engagement pour la justice sociale : une rue et une école de Lehen (commune de Fribourg) portent son nom.
D’après Marie-Thérèse Fisher, paru le 11 mars 2015 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.