La prisonnière de Hohenbourg

(A 1h.50 minutes de l’Ermitage du Rebberg)
L’une des converses de l’ Hortus Deliciarum est-elle l’ex-reine de Sicile ?

Sibilia (ou Sibylle) d’Acerra a épousé Tancrède de Lecce, fils bâtard du prince Roger d’Hauteville. Un nom normand, assurément. Mais il faut se rappeler que, au XIIe siècle, ce sont des Normands qui règnent sur la Sicile. Dès lors, on ne peut pas dire que la vie de Sibilia soit un long fleuve tranquille.

Le roi Guillaume II le Bon de Hauteville, cousin de Tancrède, meurt sans postérité en 1189. Aussitôt, les prétendants au trône s’affrontent. D’un côté, Tancrède, soutenu par les nobles normands ; de l’autre, la tante de Guillaume, Constance, épouse d’Henri VI de Staufen. Or les Staufen ont depuis longtemps jeté leur dévolu sur la Sicile.

Jeter une ex-reine au cachot, cela ne se fait pas

En 1190, Tancrède arrive à se faire couronner roi. Pour consolider son autorité, assez fragile, ses partisans neutralisent Constance, qui se retrouve enfermée à Palerme, sous la surveillance de Sibilia.

Tancrède veut assurer le trône à sa famille et fait couronner de son vivant son fils aîné, Roger. Mais celui-ci meurt en 1193. L’autre fils de Tancrède et Sibilia, Guillaume, âgé d’environ cinq ans, devient donc « co-roi » à son tour.

Or Henri de Staufen, empereur depuis 1191, réussit à vaincre Tancrède. En février 1194, Sibilia se retrouve veuve avec trois filles et le petit roi, qu’il faut protéger. Roi ? Il ne peut plus prétendre à aucun pouvoir face à l’empereur Henri VI. D’abord, celui-ci accorde des fiefs à Sibilia et à Guillaume. Mais, un jour, la veuve est accusée de complot avec des seigneurs normands. Toute la famille est arrêtée et Guillaume enfermé dans un château du Vorarlberg. Là, si on en croit la tradition, on lui crève les yeux et il ne tarde pas à mourir. Après tout, Henri VI n’était-il pas surnommé « le Cruel » ?

Et Sibilia ? Jeter une ex-reine au cachot, cela ne se fait pas. On lui choisit une abbaye où elle sera bien surveillée, ce qui ne signifie pas qu’elle doive mener la vie monastique. Henri l’envoie en Alsace, à Hohenbourg, avec ses filles Marie-Elvire, Constance et Mandonia. Les quatre prisonnières sont accueillies dans la maison de Sainte-Odile par l’abbesse Herrade, qui vit ses dernières années, voire ses derniers mois.

Or un esprit romantique a détecté, parmi les chanoinesses qui s’alignent sagement sur une page de l’ Hortus Deliciarum , une certaine Sibilia. Il n’a pas manqué d’en conclure que la pauvre reine déchue, consolée par la grande Herrade, avait pris le voile et s’était même abaissée jusqu’à vouloir être converse, donc chargée de besognes manuelles…

La réalité est moins poétique : en 1200, Sibilia et ses filles ont pu s’enfuir vers la France, où Marie-Elvire s’est mariée l’année suivante.

Il n’y avait pas besoin d’être reine pour s’appeler Sibilia.

D’après Marie-Thérèse Fischer, publié le 26/06/2013 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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