Le « Freihof » de Wangen

Quelle était la véritable destination de cette propriété au Moyen Âge ?

On a un peu oublié qu’un abbé (ou une abbesse), sous l’Ancien Régime, est à la tête non seulement d’une communauté religieuse, mais aussi d’une seigneurie. Celle-ci comporte des biens et des droits, les uns attribués à l’abbaye au moment de sa fondation, les autres offerts par divers donateurs au fil du temps, d’autres enfin résultant d’achats ou d’échanges. Étant donné leur éloignement, parfois considérable, il faut évidemment ce que nous appellerions des « centres de gestion » confiés à des officiers de l’abbaye.

Un espace qui dépend directement du seigneur

La tradition de nos villages a parfois gardé le souvenir du lien entre tel ou tel bâtiment et les « moines » ou les « nonnes », mais de manière si floue que ledit bâtiment en reçoit tout bonnement le titre d’« abbaye » ou, chez nous, de « Kloster ». C’est ainsi qu’on parle d’un invraisemblable monastère à Belmont. Le Freihof de Wangen n’échappe pas à la règle et d’aucuns le désignent comme « Kloster ».

Or son nom est parfaitement clair : un « Freihof », c’est une « cour franche ». La « franchise », en ce sens, n’a rien à voir avec la sincérité, mais avec une exemption fiscale et des droits dans le domaine judiciaire. Le Freihof constitue un espace, à l’intérieur d’une ville, qui dépend directement du seigneur. Les bâtiments sont tournés vers une cour centrale : demeure du ou des officiers, avec locaux administratifs, écuries, étables, granges, ateliers… Tous ceux qui vivent dans le Freihof sont exempts de la plupart des charges qui pèsent sur les autres habitants de la ville.

À Wangen, depuis 845, le seigneur est une femme, l’abbesse de Saint-Etienne, communauté strasbourgeoise de chanoinesses nobles. L’empereur Lothaire lui a offert « Wangen avec tout ce qui en dépend », ainsi que la haute et la basse justice.

La cour franche de Wangen est attestée au moins depuis 1270. Selon un modèle courant en Alsace, c’est un « Dinghof », une « cour colongère ». Les paysans qui en dépendent ont leur propre tribunal et des droits qui feraient alors rêver plus d’un vilain dans d’autres régions. En outre, en tant que « Dinghof », c’est un lieu d’asile, c’est-à-dire qu’on ne peut appréhender quiconque s’y réfugie, du moins pour un temps. Contrairement à ce qu’on a pu dire, le « trèfle à quatre feuilles », sur l’emblème du Freihof, n’a rien à voir avec ce droit d’asile. D’ailleurs, s’agit-il vraiment d’un trèfle, à l’origine ?

On a parfois fait du Freihof un « château », voire « le château de Wangen », ce qui ne lui correspond pas plus que le « Kloster ». La confusion vient sans doute de ce qu’on a, dit-on, utilisé au XVIIIe siècle pour de nouvelles constructions des pierres récupérées dans les ruines du vrai château de Wangen, dont l’emplacement est facilement discernable au cœur de la ville. La date de 1750 est encore visible au Freihof. Mais, à ce moment, il n’y avait plus de chanoinesses à Saint-Etienne depuis longtemps.

D’après Marie-Thérèse Fisher, le  14 janvier 2015 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace

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