Le bâtiment central du Creutzhof (alias Herrenhof) arbore encore la date où le prieur Régnier l’a fait construire. PHOTO DNA
(A 25 minutes de l’Ermitage du Rebberg)
Qui sont les « messieurs » qu’évoquent les noms du Herrenhof et de la Herregass ?
Il y a quelques années, j’étais à la recherche du « Creutzhof », mais personne, parmi les gens d’Ottrott chez qui j’ai essayé de me renseigner, n’en avait entendu parler. En revanche, puisque j’avais l’air de m’intéresser à des choses historiques, une dame m’a conseillé d’aller voir le Herrenhof, en m’expliquant que « c’était la cour dîmière des seigneurs qui habitaient les châteaux d’Ottrott ».
Une cour pour plusieurs seigneurs, voilà qui me paraissait déjà bizarre, sans compter que la dîme, en principe, était destinée à des ecclésiastiques. Raison de plus pour jeter un coup d’œil.
Des jardins fournissaient des légumes aux « Herren »
Si l’explication était fausse, le conseil, lui, était excellent. Car il s’agissait en fait du « Creutzhof » que je cherchais ! Les « Herren » en question n’habitaient pas des châteaux, mais un couvent : les Prémontrés du Mont Sainte-Odile. Des chanoines réguliers, donc, en allemand, des « Chorherren », et non des seigneurs.
Le Herrenhof, qui s’appelait officiellement Creutzhof, n’avait rien d’une « cour dîmière ». C’était tout simplement un économat, l’endroit où ils stockaient céréales, provisions, vin et autres denrées provenant de leurs rentes, de redevances en nature ou de la « compétence » que leur versait l’Évêché, car ils n’avaient pas de place pour tout cela au couvent. Des jardins fournissaient des légumes aux « Herren », qui ne mangeaient pas de viande, et les dépendances comportaient entre autres une laverie, la lessive n’étant pas alors chose facile au sommet de la montagne. Autant dire qu’il y avait aussi des écuries pour les attelages qui assuraient le va-et-vient entre le Creutzhof et la « maison de Sainte-Odile ». Le religieux qui gérait tout cela portait le titre de « procureur ».
Mais pourquoi « Creutzhof » ? À cause d’une donation médiévale : un couple de pieux habitants d’Ottrott avait jadis donné cette propriété en offrande à la Sainte-Croix de Niedermunster, c’est-à-dire, concrètement, à l’abbaye. Le plus normalement du monde, elle est devenue la « Cour de la Croix », le « Creutzhof ». Après le dernier incendie de Niedermunster, elle est passée au Grand Chapitre de la cathédrale, sans perdre son nom.
Au XVIIe siècle, un curé d’Ottrott, Jeremias Geeb, a légué aux Prémontrés de Sainte-Odile sa maison et son jardin, que les religieux ont échangé plus tard contre le Creutzhof. En 1728, le prieur Jean Régnier a entièrement transformé, voire reconstruit, les bâtiments, d’où la date qui figure à l’entrée, au-dessus de l’imposte, et l’inscription « S.Odilia » sur le linteau.
Quant à la rue de la Croix, ne doit-elle pas son nom au voisinage du Creutzhof, dont elle longe un côté ?