Les parlers alsaciens

Les assises de la langue et de la culture régionale se prolongent encore cette année au rythme de réunions décentralisées pour sauvegarder le dialecte alsacien dans toute sa diversité phonique et lexicale.

Dis-moi comment tu parles et je te dirai d’où tu viens… Le postulat se vérifie à coup sûr en Alsace quand on interroge le parler régional.

Quel mot pour « dire » ? Sàge, sàga, sàje, saawe, soeje, sàche (du sud au nord, du Sundgau à l’Outre-Forêt en passant par Colmar, Strasbourg et Seltz) ? L’Alsacien du krumme Elsass (Alsace Bossue) identifiera immédiatement le Mulhousien à sa façon de parler et inversement. Un discernement qui s’étend même à l’accent alsacien du locuteur en français, reconnaissable entre mille par les oreilles averties.

De là à dire que chaque village a son parler, il n’y a qu’un pas, aisément franchi. Une enquête avait d’ailleurs été menée dans les années 60 pour répertorier les différentes prononciations et expressions. Les villages ont été classés par zones isophones (aux sonorités identiques) et isoglosses (avec un même vocabulaire), ce qui a permis d’établir un atlas linguistique de l’alsacien. « Il y a des frontières marquées par les sons et d’autres marquées par les mots, confirme Raymond Matzen, dialectologue et chroniqueur des DNA. Ceux qui disent sàge parlent de Behn pour dire grenier dans le Haut-Rhin, tandis que ceux qui prononcent sàje , lui préfèrent le terme de Kàst , pour l’essentiel dans le Bas-Rhin ».

Les exemples sont innombrables mais heureusement pour le linguiste, la diversité dialectale répond à une vraie logique historique qui distingue, au sein du dialecte germanique, l’alémanique du francique.

Les Francs et les Alamans

Deux peuples germaniques se sont imposés face aux Celtes en Alsace au cours des IVe et Ve siècles : les Francs dans le Nord, les Alamans dans le reste de la région;

« On parle alémanique de la Forêt-Noire aux Vosges, détaille le professeur Matzen. Et en Alsace, on trouve trois aires dialectales bien délimitées » : le bas-alémanique du Nord dans une grande partie du Bas-Rhin, proche des dialectes parlés dans le pays de Bade ; le bas-alémanique du Sud dans la majeure partie du Haut-Rhin, proche du parler en Brisgau, de l’autre côté du Rhin ; le haut-alémanique du Sundgau, propre à l’extrême sud du Haut-Rhin et assez semblable au suisse alémanique (ou schwizer Dutsch ) : on y prononce les « k », ch et Kind , enfant, s’y transforme en Ching.

Et puis il y a le francique. Deux franciques pour être précis : le rhénan lorrain en Alsace Bossue et le rhénan palatin dans l’Outre-Forêt.

Le francique, plus proche de la prononciation allemande

« À la Révolution française, rappelle Raymond Matzen, l’Alsace Bossue, protestante dans une Lorraine catholique, a préféré se rapprocher administrativement de l’Alsace du Nord protestante. Mais son patois reste apparenté au mosellan, lui-même proche de la prononciation allemande ».

Même proximité pour le parler de Wissembourg à Lauterbourg au nord du Seltzbach dont la région était sous la domination des princes palatins. Le rattachement un temps du Palatinat à la Bavière y introduit une petite touche bavaroise. Là-bas, le vin se dit logiquement Wein et non Win comme à Strasbourg ou Wii dans le Haut-Rhin. A noter d’ailleurs qu’en général, les mots se terminant par la lettre « n », la perdent au sud d’Erstein (le meilleur exemple étant « non », nein à Wissembourg, naan à Strasbourg et nai à Colmar).

On retrouve encore un peu de francique dans l’alsacien de Strasbourg. Ville universitaire et majoritairement protestante lors de la Réforme, le Hochdeutsch y enrichit le langage populaire de quelques diphtongues ou à l’inverse monophtongues.

Pour terminer ce tour d’horizon du dialecte germanique, il faut encore parler de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines qui, en plein pays welsche (lire ci-dessous), parle l’alsacien. La raison en est que les mines d’argent ont été exploitées par les seigneurs de Ribeaupierre, de langue alémanique…

Et comme si l’alsacien n’était pas déjà suffisamment varié, le rattachement à la France l’a enrichi de nouveaux mots souvent en rapport avec la modernité ( Oto , Tele ,…) ouavec les formules quotidiennes de politesse : buschur , merci ou orwar.

d’après Simone Wehrung, publié le 21/02/2013 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace

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