Tout un village contre une maison

(A 25 minutes de l’Ermitage du Rebberg)

Peut-on empêcher Jean-Georges Schmitt de bâtir sur son propre terrain ?

Ce qu’on appelle « bien national » en 1789 est une propriété ecclésiastique confisquée par la République. Le terme s’étend en 1792 aux biens des émigrés, c’est-à-dire des personnes qui ont quitté le territoire français par crainte ou par refus de la Révolution et, le 27 juillet 1792, un décret autorise la vente de leurs terres, maisons, etc.

Parmi les acheteurs figure sous le Directoire un certain Jean-Georges Schmitt, cultivateur de Mittelbergheim et « fermier de la maison et dépendances de l’émigré Schauenbourg d’Osthoffen ». Il a « acquis 54 arpents de terres et vignes situés au ban de Rimlen faisant partie de celui d’Ergersheim ». Il a l’intention d’y bâtir une maison, « à la route d’Ergersheim à Strasbourg, à côté de la chaussée d’Osthoffen », mais se heurte à l’opposition de l’agent municipal d’Ergersheim, selon qui, pour construire là, il faut l’approbation des deux tiers des habitants. Schmitt sait bien qu’il n’a aucune chance de ce côté, car, en tant qu’acquéreur de biens nationaux, il est persona non grata dans la commune. Aussi se tourne-t-il vers l’administration municipale du canton de Molsheim : qu’elle interdise à l’agent municipal de faire opposition.

Le 16 thermidor An VI (3 août 1798), l’administration demande à l’agent municipal de « produire les motifs qui déterminent les habitants de la commune à s’opposer à la construction de la maison du pétitionnaire ». La réponse est prête dès le lendemain, signée non seulement de l’agent municipal, mais aussi de son adjoint. Cette maison serait trop éloignée du village. Or les maisons isolées, « soustraites à l’œil de la police, servent de repaire aux déserteurs, aux vagabonds, aux prêtres réfractaires, aux émigrés, aux espions, et à tout autre genre de gens suspects ». Ensuite, à partir de là, on peut se livrer à des « vols champêtres » sans être repéré. Enfin, les habitants des maisons éloignées des villages sont dispensés « du logement des gens de guerre, du service de la garde nationale, etc. », ce qui alourdit les charges de leurs concitoyens. Des villageois ont proposé à Schmitt des échanges de terrain pour qu’il construise plus près, mais il a refusé. Et il est tellement sûr d’obtenir raison qu’il est déjà en train de préparer le futur chantier en éteignant de la chaux sur son emplacement.

D’abord l’administration reconnaît qu’on ne peut guère refuser à Schmitt de bâtir sur son propre terrain. Mais les dangers évoqués par l’agent municipal produisent l’effet souhaité : en 1798, déserteurs, prêtres réfractaires, émigrés et espions sont autant d’épouvantails, les maraudeurs aussi. Et l’administration interdit à Schmitt la construction qu’il projetait.

Tous les motifs produits étaient-ils les vrais ? Étranger au village, acheteur de biens nationaux, éventuellement dispensé de la garde nationale : Schmitt avait tout pour être indésirable à Ergersheim !

D’après Marie-Thérèse Fischer, publié le 26/03/2014 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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