(A 15 minutes de l’Ermitage du Rebberg)
Un poème du XIIIe siècle conservé à Oxford garde le souvenir d’une rencontre dans les bois au-dessus de La Broque.
Conrad-Wernher III appartient à la puissante famille de Hattstatt, attestée en Haute Alsace dès le dernier quart du XIIe siècle. Lui-même en est un des représentants les plus remarquables, puisqu’il a obtenu de Rodolphe de Habsbourg le titre et la charge de bailli impérial. Et le souverain lui a manifesté sa confiance en l’envoyant négocier le mariage de Hartmann de Habsbourg avec la fille du roi d’Angleterre. Oui, vraiment, Conrad-Wernher de Hattstatt n’est pas n’importe qui. D’aucuns le trouvent même plutôt redoutable.
Convaincu qu’il sait manier un excellent français
En ce 8 septembre 1285, il revient d’un tournoi en passant par la vallée de la Bruche. Les routes médiévales n’empruntent guère les fonds de vallées inondables et son itinéraire le conduit, le matin de très bonne heure, au pied du château de Salm. Il y rencontre une connaissance qui se promène en faisant des vers : le trouvère Jacques Brétel (nom qu’on écrit souvent « Brétex » parce qu’il prend cette forme au « cas sujet » de l’ancien français). Ils se mettent à bavarder. Brétel l’invite, au nom du comte de Chiny, à participer à un grand tournoi qui doit avoir lieu à Chauvency (aujourd’hui dans la Meuse).
Lorsque le trouvère revient au château, il s’aperçoit qu’il est en retard : le comte Henri de Salm est déjà attablé avec tous les autres convives du petit-déjeuner. C’est peut-être pour se faire pardonner qu’il lui narre sa conversation avec Conrad-Wernher, pour la plus grande hilarité du maître de céans. En effet, dans son récit, Brétel amuse la galerie aux frais du sire de Hattstatt, car celui-ci, de parler alémanique, est convaincu qu’il sait manier un excellent français, alors que, en réalité, il le massacre. Et Brétel imite « son tijois romant » («son français allemand »).
Des exemples ? « Conte moi vous de novelier » (ce qui donnerait, en français du XXIe siècle, « Raconte-moi vous du nouveau »), a demandé Conrad-Wernher. Apprenant qu’il y avait un tournoi en perspective, il a annoncé qu’il s’y rendra, et pas seul : « Ma fil ma compagnon manrai » (« j’emmènerai ma fils pour compagnon »). À ce fils, d’ailleurs, il aura le snobisme de vouloir donner ses recommandations en français lors des fêtes de Chauvency : « Se tu ne fais bien la besoigne/Ne vindre vos mie en maison/Je chascier fors a grant tison » (Si tu ne fais bien la besogne/Vous ne viendre pas en maison/Je chasser dehors avec grand bâton »).
Brétel n’en rajoute-t-il pas un peu ? Quoi qu’il en soit, le manuscrit de la Bodleian Library d’Oxford nous donne le plus ancien texte littéraire où on se moque d’un Alsacien qui s’exprime mal en français. Est-il permis de demander ce qu’aurait fait le trouvère s’il avait dû parler au sire de Hattstatt en dialecte alémanique, lui qui écrit « Warnier » pour « Wernher » ?
e.