Les âmes des paroissiens du curé Jean Agram étaient-elles au cœur de ses préoccupations ?
Originaire d’Alsace Bossue, le jeune Jean Agram s’est inscrit à l’université de Heidelberg, mais, finalement, il n’en sortira pas bardé de diplômes : pour faire fortune comme ecclésiastique, il trouve un meilleur filon. Depuis 1474, un prêtre de sa parenté est curé de Wolxheim, avec sa filiale Dahlenheim, et il le rejoint. Il semble avoir déjà derrière la tête l’idée de lui succéder.
En 1504, l’affaire est rondement menée. Le cousin résigne sa charge entre les mains du pape et encaissera une pension viagère prise sur les revenus de la paroisse, une paroisse dont Jean devient le curé. Normalement, le cumul est interdit, mais le jeune Agram investit de belles sommes pour obtenir du Saint-Siège qu’il lui accorde en sus la cure de Molsheim. C’est là qu’il s’installe. Et Wolxheim ? Le cousin y est resté, tout simplement, avec une sorte de vicaire, dont Jean assure la subsistance. Celui-ci, avec ce que rapportent les trois paroisses, en a largement les moyens.
Il transforme le vin en espèces sonnantes et trébuchantes
En vin, par exemple, il ne dispose assurément pas de toute la dîme, mais la part qui lui revient n’a rien de négligeable. L’année 1521 lui rapporte 100 hL. Selon la récolte, il lui arrive une fois ou l’autre de monter à 340 hL ! On imagine bien qu’il ne le boit pas tout seul. Il fournit des aubergistes de Strasbourg, entre autres, ce qui transforme le vin en espèces sonnantes et trébuchantes. Du reste, quand il invite, il ne se montre pas pingre. Ainsi, en 1516, il convie des confrères pour banqueter avec lui à l’occasion de la fête patronale : 32 le premier jour, 20 le lendemain. La liste des victuailles donne le vertige. Or, d’après ses notes personnelles, on peut calculer qu’ils ont absorbé par tête plus de 6 litres de vin, tant rouge que blanc. Une bonne descente !
Jean Agram vend également le produit des champs attachés à la cure – quelque 12 ha quand même – qu’il fait cultiver par son valet, quitte à engager du personnel saisonnier supplémentaire. Il cherche preneur pour le grain, la paille, tout ce qui dépasse sa propre consommation. Mais attention ! Pas à tort et à travers : il se renseigne sur les cours des denrées et s’efforce d’attendre la hausse pour proposer sa marchandise. Ne pourrait-on pas dire qu’il spécule ? Il n’hésite pas à monnayer jusqu’au fumier de ses bêtes. Et n’oublions pas cette autre source de revenus que représente la location de champs ou de vignes qu’il a achetés avec ses gains. Le prêtre se livre à une activité commerciale et financière débordante !
Et qui en recueillera les fruits après sa mort ? Ses enfants ! Ceux qu’il a eus de sa servante Barbe, qu’il reconnaît comme les siens et en faveur de qui il établit un testament, en 1527, après la mort de leur mère. Et, si vous voulez tout savoir, le curé Jean Agram a encore des descendants aujourd’hui en Alsace. En revanche, les florins du businessman ecclésiastique sont, bien sûr, évaporés depuis longtemps.
D’après Marie-Thérèse Fisher, paru le 18 février 2015 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.