Un souvenir d’Abul Abbas ?

(A 30 minutes de l’Ermitage du Rebberg)

Dans les bas-reliefs de l’abbatiale d’Andlau, avez-vous vu la grosse bête ?

Avait-il des oreilles à l’origine ? Il ne semble pas. On s’est contenté de représenter ce qu’il avait de plus original : la trompe et les défenses, et cela suffit pour que nous reconnaissions un éléphant. Les gens d’Andlau savaient-ils ce que c’était, au XIIe siècle ? Ce n’est pas exclu.

Assurément, seules des personnes cultivées connaissaient l’histoire d’Hannibal franchissant les Alpes avec ses éléphants de guerre en 218 avant J.-C. pour envahir l’Italie. Et il n’était pas venu jusqu’ici. Mais il ne faut pas dire trop vite qu’aucun éléphant n’avait jamais mis les pattes dans les pays du Rhin.

Pour les uns, il a été foudroyé par un infarctus ; pour d’autres, il s’est noyé dans le Rhin

En 797, Charlemagne voulait régler à l’amiable les relations entre chrétiens et musulmans. Il avait donc envoyé au sultan Haroun-al-Rachid une délégation formée de deux chevaliers francs et de leur interprète, un marchand juif du nom d’Isaac, avec des cadeaux précieux, dont une meute de chiens de chasse et des chevaux de race.

L’objectif consistait à obtenir du sultan qu’il tolère les chrétiens dans ses états, en échange de quoi Charlemagne tolérerait les musulmans dans le sien. Les chevaliers étant morts en route, Isaac se chargea seul de l’ambassade. Haroun-al-Rachid entra volontiers dans les vues du roi des Francs et, en signe d’amitié, chargea Isaac de lui apporter en retour des présents somptueux.

Entre autres, une clepsydre, une horloge à eau qui crachait une boule toutes les heures. Et surtout Abul Abbas, un éléphant indien.

C’est seulement en 802 que Charlemagne, ravi, put prendre livraison de son cadeau, qui avait franchi des milliers de kilomètres pour arriver jusqu’à lui. Désormais, on allait voir souvent l’éléphant dans la suite de celui qui était devenu empereur entre-temps.

Malheureusement, un jour de 810, Abul Abbas est mort subitement. On ne sait pas de quoi, en fait. Pour les uns, il a été foudroyé par un infarctus ; pour d’autres, il s’est noyé dans le Rhin ; pour d’autres encore, il a attrapé une pneumonie. Mais, en sortant de l’histoire, il est entré dans la légende, une légende durable à travers tout l’empire.

Charlemagne l’aurait utilisé comme éléphant de guerre

On en a fait un éléphant blanc, par exemple. Et on a raconté que, dans sa guerre contre les Danois, Charlemagne l’aurait utilisé comme éléphant de guerre. On aurait arrimé sur son dos une tour de bois pourvue d’ouvertures pour le tir. Cela n’a-t-il pas un air de famille avec notre éléphant d’Andlau ?

Si on ne peut pas prouver que l’empereur se soit servi d’Abul Abbas au combat, on sait que l’idée de mettre une tour sur le dos des éléphants remonte au début du IIIe siècle avant J.-C. L’éléphant que le sultan al-Kamil offrira à l’empereur Frédéric II en 1228 sera représenté dans l’art médiéval portant la tour avec laquelle il est entré dans Crémone.

Quoi qu’il en soit, à Andlau, on peut rêver d’Abul Abbas, signe de paix et non de guerre entre deux souverains bien différents.

D’après Marie-Thérèse Fischer,  publié le 09/04/2014 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.