Une énigme sur le toit

Normalement, une tuile sert tout simplement à couvrir le toit et personne ne va voir à quoi elle ressemble une fois qu’elle est posée. On n’a donc apparemment aucune raison de la décorer. Et pourtant…

En démontant des toitures anciennes, on peut tomber en Alsace sur des tuiles « Biwerschwànz » (en « queue de castor ») où sont gravés tantôt des symboles religieux, tantôt un nom ou une date, tantôt encore des signes assez cabalistiques. Certaines gens les collectionnent. Quelle que soit leur valeur esthétique, elles ont quelque chose d’émouvant, comme un message du temps passé.

En Alsace, ce genre de tuile est un « Fîroweziejel ». Le « Fîrowe », c’est la soirée qui commence après la fin du travail. La tradition veut que les ouvriers des tuileries, autrefois, aient eu l’habitude de décorer à leur gré la dernière tuile de la journée. Elle avait alors une valeur particulière, un peu magique.

Une telle tuile, conservée à Odratzheim, porte un décor qui peut prêter à réflexion. Aux quatre « coins », si l’on peut dire, et au milieu des longs côtés, on y voit un éventail de rayons. C’est un soleil, motif très répandu, qui est censé porter bonheur. Jusque-là, rien de très remarquable. On repère une date : 1697. On rencontre encore, effectivement, des « Fîroweziejel » du XVII e siècle. Toujours rien d’étonnant.

En revanche, soigneusement calligraphié, on y lit le prénom « Louis », en caractères « français ». Or, à l’époque et pour longtemps encore, la grande majorité des Alsaciens ignorait le français et ceux qui savaient écrire faisaient usage des lettres aiguës que nous qualifions aujourd’hui de « gothiques ». Qui peut avoir gravé ce nom dans la tuile ?

On se prend à rêver. Car 1697, c’est l’année du Traité de Ryswyck, où l’Empire cède définitivement l’Alsace au roi de France, l’année où le Rhin devient frontière. Et le roi de France, c’est Louis XIV, le Roi-Soleil. « 1697 », « Louis », soleil : le décor de la tuile d’Odratzheim fait d’elle presque un monument commémoratif !

Les années précédentes, de nombreux immigrés en provenance de diverses provinces françaises sont venus repeupler des villages désertés, car le roi leur promettait des avantages non négligeables. L’un d’eux travaillait-il à la tuilerie ?

Ou faut-il croire que ce décor est le fruit du hasard ?

D’après Marie-Thérèse Fischer, publié le 13/07/2011 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.

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